Expertise

Piloter son business grâce à la data : mythe ou réalité ?

18 minutes

Virginie Chollois, Marketing & Communication Manager senior chez Lucky cart. 24.10.2022

Sujet de la première table ronde organisée par Lucky cart, on vous décrypte tout.

Effectivement, nous sommes en pleine réalité, en plein cœur du sujet. La data permet d’analyser, de voir ce que l’œil ne voit pas, de prédire la consommation des shoppers et a donc un impact immédiat sur le business.
Une fois le sujet posé, rentrons un peu plus dans le détail. 
Avec nous, en ce 4 octobre 2022, Olivier Dauvers comme animateur entouré de Stéphane Smolarek (Intermarché), Jérémy Hoy (GroupM Commerce), Jérôme Hamrit (In The Memory) et Romain Charles (CEO Lucky cart). Rien que du beau monde !

Ici, nous allons tenter de résumer les 1h30 de discussions libres, constructives, enrichissantes que nous avons eu la chance d’avoir et de poser les jalons pour nos prochains échanges (et oui, il y en aura d’autres !).

Un point de contexte, activité et enjeux autour du pilotage de la data.

Dans un premier temps, Olivier a fait un état des lieux du retail et interpellé sur la place de la data dans un contexte marché difficile, bataillé (encore plus qu’avant avec l’avènement de nouveaux acteurs), qui doit sans cesse se réinventer pour continuer à avancer, à se ‘moderniser’.
Les temps commerciaux sont durs et vont continuer encore. Une fois ce constat posé, quelles sont les solutions qui s’offrent à nous, vous ? La réponse paraît simple : être le commerçant préféré des clients. Mais comment le mettre en pratique ? Éléments de réponse au travers 4 leviers de préférences :
1. L’offre
2. La shopping expérience
3. L’image / prix
4. Le lien enseigne / client.

Ok, mais comment la data peut apporter du sens, de la richesse et donc de l’impact ?

1. Pour l’offre, en diversifiant les assortiments, en apportant un catalogue produit différent du magasin d’à côté. Apporter une offre personnalisée, variée et adaptée à mes besoins.

2. Pour la shopping expérience et le lien enseigne / client il est impératif de personnaliser les messages adressés aux clients, en ciblant davantage les communications. ‘’Parlez-moi de moi, Y’a que ça qui m’intéresse’’.

3. Pour l’image / prix avec le yield management ? Réaliste ? Utopiste ? Possible techniquement en tout cas ! Même si nous en sommes encore loin et que les français ne sont sans doute pas prêts à ce changement à 360° des usages prix / produit. A suivre…

Une fois cette introduction rondement menée par Olivier Dauvers himself, débutons notre échange.

Première partie : l’état des lieux de la data.

Pour avoir un regard éclairé et des réponses diverses, nous avons interrogé : Jérôme Hamrit.

Pour lui, l’état des lieux est clair : « beaucoup de retailers ont posé les fondations : ils collectent, nettoient, rangent et archivent leurs données.
Le niveau de maturité dans l’utilisation de la data est assez différent entre nos 5 enseignes majeures, et les cas d’usages aussi.
L’organisation autour de ce nouveau chantier n’est pas toujours optimum et pour qu’elle fonctionne au mieux, elle doit s’articuler autour d’un couple clé : le retailer et les professionnels de la data, ceux qui la comprennent mieux que personne, ceux qui la manipulent avec dextérité et respect des règles.
On n’y est pas encore parfaitement, le changement de paradigme et ses implications ne sont pas toujours simples à mettre en place, le chemin est encore long, mais nous sommes sur la bonne voie. »

Un état des lieux qui en dit long sur le chemin à parcourir.

Le changement de paradigme évoqué par Jérôme Hamrit est aussi et avant tout un sujet culturel, une acceptation d’un changement de braquet dans la relation shopper qui passe du mass market à une relation 1to1, personnalisée, personnifiée, le but ultime. Mais aujourd’hui, comprendre ce qui se fait, le chemin normal qu’emprunte la data, son usage, passe par des étapes clés, elle apporte un peu plus d’intelligence et de méthodes aux opérationnels pour réfléchir autrement, gagner du temps et imaginer des activations autrement. Pas simple !

Pour étayer cette approche, Jérémy Hoy partage son point de vue :
« La valeur positive dans ce changement majeur est que la data permet d’initier la transformation si nécessaire aujourd’hui. Les volumes de data sont là, s’agrègent en temps réel, et permettent aux acteurs media entre autres de mesurer chaque approche, chaque campagne, chaque message et d’avoir in fine une approche plus holistique et non media centric.
Oui le modèle se renouvelle, il est même en train de se réinventer car porté par une globalité. La data ne sert pas que les acteurs alimentaires mais bien plus largement. Ce qui permet donc à tous de s’en nourrir, de s’en inspirer et d’avoir une vision cible claire ».

Les pure-players sont structurellement plus en avance vs les retailers traditionnels, les best cases peuvent néanmoins être inspirant pour tous !

Forts de cet état des lieux et le chemin à parcourir, nous avons évoqué les organisations internes, les changements de métiers même que la data nécessite.

Seconde partie : organisation, l’offre…

Un sujet majeur pour que ces changements s’opèrent de la meilleure manière possible, tout en finesse et fluidité. Pour Jérôme Hamrit, « Les retailers n’ont pas tous embarqués, au sein même de leurs organisations, les expertises métiers nécessaires pour jouer le rôle de passeur, de pivot.
Il est clair que les organisations actuelles nécessitent un changement de structure pour mettre en place des équipes de ‘sachants’ associées à des prestataires spécialisés. L’un des enjeux va donc être de recruter des profils qui savent bien identifier et qualifier les besoins, s’appuyer sur les bons partenaires métiers pour piloter ces projets à forts enjeux stratégiques ».

Ce point organisationnel est très clair pour la Grande Distribution alimentaire et des transformations vont encore avoir lieu pour optimiser l’ensemble, dans les mois à venir.

L’autre point clé quand un acteur veut utiliser la data comme levier majeur de son business est l’offre.

Qui de mieux qu’un représentant d’enseigne pour apporter une réponse sur ce point : Stéphane Smolarek « L’offre qui s’adapte aux saisons, aux besoins des shoppers… C’est techniquement possible et pourtant mon enseigne ne le met pas encore en place. C’est un projet long, qui verra le jour si tout va bien milieu 2023 ».

En plus de la personnalisation de l’offre, la data permet aussi la prédiction ou plus précisément la modélisation prédictive qui est un ensemble de méthodes permettant de collecter et d’analyser les données transactionnelles, de manière à les interpréter pour in fine en déduire le comportement des consommateurs, dans un avenir proche.  

Ce sont des probabilités avérées, construites sur une base tangible, documentée qui, selon toute vraisemblance et au regard de la quantité de données analysées, peuvent être considérés comme des résultats plausibles, précis et probables.

Olivier Dauvers redonne l’information portée par Mourad Bensadik, Directeur e-commerce de Carrefour lors des Ateliers du Drive : « Nous sommes en mesure de prédire 70% d’un panier à partir de 3 commandes passées par un client. La personnalisation est un élément majeur en e-commerce. » Est-ce réaliste ?
Nous avons posé la question à Jérôme Hamrit : « Oui c’est totalement réaliste car la prévisibilité du e-commerce, du fait de la complexité des process… Cette prédiction est un gros levier de fidélisation pour les enseignes. »

Focalisons-nous à présent sur un enjeu clé : la personnalisation de l’offre.

Y-a-t ’il des freins au consentement shopper, est-il difficile à obtenir, et quelle image renvoi cette démarche ?

Pour Stéphane Smolarek « l’acceptation est essentielle ».

Pour Jérôme Hamrit « la personnalisation de l’offre et de la promotion n’en ait qu’à ses débuts. Parce qu’aujourd’hui, nous sommes encore dans une très grosse majorité des cas sur des investissements promotionnels de masses, en magasins et donc non personnalisés.
Quand tu penses aux enjeux digitaux, à la perte en ligne et aux sommes colossales qui sont distribués à des shoppers qui ne le demande pas, cela fait réfléchir !
Il faut voir à quelle vitesse la personnalisation de la promotion est possible, mais les acteurs sont un peu ‘frileux’ à l’idée de changer des règles éprouvées, et des actions déjà expérimentées par tous.  Le processus sera lent à mettre en place, mais le client est prêt à l’accepter.
Le problème est de plonger dans l’inconnu vs ce que tu maîtrises déjà. Tu connais les retours de campagnes de masses et les substituer à un levier (le e-retail) qui n’est pas encore aussi puissant (en termes de nombre de clients touchés), le switch est difficile.
C’est une transition lente qu’il faudra mener, ensemble ».

Pour Romain Charles « c’est aussi un problème de nature humaine… On parle d’enseigne mais c’est exactement la même chose pour les marques – industriels. Cela fait des années que la règle du prospectus existe ‘tu livres 100, tu vas en vendre 70 et sur ces 70 vendus, 50% sera de l’incrémental, le reste est de la cannibalisation’. Ce sont les mêmes chiffres, depuis des années ».

Enfin, Jérôme Hamrit complète son propos précédent : « tu sais que tu as 10% de tes clients qui sont des purs promophiles. Ils chassent la promo, peuvent même changer d’enseigne pour avoir les meilleurs prix possibles. 
Si tu considères cela, et si on résonne data, tu sais donc les identifier, les contacter, leur proposer les meilleures offres et t’assurer qu’ils ne vont pas ailleurs. Une fois fait, tu peux te relâcher sur le niveau de pression pour les 90% restants. Et là, tu débutes une autre discussion, et là franchement il y a encore mieux à faire ! »

Pour résumer le début de la discussion, nous avons 2 chantiers majeurs :

  1. Le premier chantier d’usage de la data, la construction de l’offre.
  2. Le second chantier, la personnalisation

Viens après un sujet plus media de l’utilisation de la data.

Les écosystèmes retails peuvent-ils devenir des plateformes media ?
Olivier Dauvers dit : « une marque PGC, dans son arbitrage media avait hier : TF1, M6… Aujourd’hui, avec le même arbitrage media, elle a toujours TF1, M6 mais aussi l’écosystème Carrefour, Infinity…
Les retailers vont devenir la nouvelle porte d’entrée media, pour les marques ».

La question est posée à Jérémy Hoy, qui rappelons-le est Managing Director GroupM Commerce chez GroupM France : « c’est tout à fait ça ! Parce qu’aujourd’hui, il y a le site de l’enseigne qui est capé dans son inventaire media, dans sa capacité à proposer un potentiel d’investissement publicitaire.
Par contre, puisque notre sujet du jour est la data, nous pouvons utiliser la data des shoppers auprès des écosystèmes de diffusions qu’ils soient télé, affichages, autres…
La data est l’opium pour les marques et les acteurs media mais il faut prendre en compte toute cette connaissance que les retailers ont et mettre à disposition, pour l’utiliser au rythme du vrai besoin ». 

Pour Jérôme Hamrit, sur cette même question : « la direction est la bonne. Le point important est le cookieless qui arrive vite et qu’en sera-t-il de la mesure, de la capacité de mesure sans ?
Concrètement, quand on sait suivre un individu et qu’on a les bons kpi’s de suivi comme le ROI des campagnes, nous sommes capables donc de suivre le comportement d’achat des shoppers en off et online ».

Troisième partie : la baguette magique

Olivier Dauvers continue ses questions et voici celle que nous attendions tous : si vous aviez une baguette magique, quel serait le use case ou une perspective en termes de data sans contrainte, sans limite. Qu’aimeriez-vous arriver à faire un jour ?

Stéphane Smolarek est le premier à répondre à cette question et de prendre sa baguette de Harry Potter : « consolider les datas des retailers alimentaires et non alimentaires, dans le respect des règles et du consommateur pour être capable de lui proposer le bon produit au bon endroit. Ceci afin de lui enlever de la charge mentale quand il fait ses courses. Il y a une complémentarité entre les sources d’achat, les enseignes qui peut se faire ».

Ensuite, place à Jérôme Hamrit et sa baguette magique : « la data devrait permettre une intégration, de bout en bout, dans les supply chain.
La détection d’une vente ou d’une rupture à un endroit donné, dans un magasin, remonte de suite toute la chaîne jusqu’au fabricant qui produit, pour l’aider au suivi, réduire le gaspillage, gérer le stock de sécurité qui fait perdre beaucoup de temps, d’argent et de matières premières.
Si les écosystèmes et les données étaient intégrés, elles pourraient faire gagner du temps et de l’argent à tous les intervenants.
Une techno qui part de la caisse à la gestion de la matière première ».  

La question se poursuit avec la baguette magique de Jérémy Hoy : « en dépassant les clivages des enseignes traditionnelles et en cross catégoriels, que l’on puisse avoir une data room avec l’ensemble des data alimentaires, servicielles, non ali… Une grande banque de données. Dans une optique de rationalité, arriver à avoir les différents parcours d’achats, multi catégoriels, au service d’une pression marketing / publicitaire plus mesurée, avérée ».

Et pour conclure, Romain Charles utilise sa baguette magique « en revoyant la promotion. Nous sommes aujourd’hui sûrs de la promo de masse, avec des taux de transformation relativement faibles.
Aujourd’hui le business model des prospectus (qui vont disparaître d’ailleurs) c’est de communiquer massivement sur des promotions en transformant relativement faiblement. Mais les résultats sont quand même là et cette pratique marketing existe depuis bien longtemps.
La fin des prospectus est une réelle opportunité car si tu veux réellement améliorer ton taux de transformation, il faut être sûr que l’offre poussée à ton client soit bien la bonne, que la marque proposée soit bien la bonne, que le format proposé soit bien le bon. Aujourd’hui, les prospectus peuvent être un frein à l’achat pour certains car même si la marque t’intéresse, le format te pousse à stocker pour 6 mois !
Donc si tu es capable d’adopter le bon format, de pousser la bonne offre selon ses habitudes d’achat, il est fort à parier que le taux de transformation sera meilleur ».

Pas mal nos apprentis sorciers non ?

Dernière ligne droite avec une session de Q&A :

• Question sur la réconciliation des datas et des canaux de distribution. Quel(s) rôle(s) pour les marques ? – Merci à Florence de Datagram.

> Stéphane Smolarek : « certaines marques seront nécessairement plus faciles à convaincre parce qu’elles sont une concaténation de marques.
Et puis, à un moment ou un autre, il faudra tester et peut-être qu’une marque volontaire associée à une enseigne volontaire sur le partage de données sera plus simple à mener qu’un déploiement auprès des 5 enseignes avec +20 millions de clients ».

> Romain Charles : « le rôle des marques est prépondérant. Dans ce rôle tripartite entre le retailer, la marque et le partenaire métier qui peut les accompagner. Le rôle de la connaissance métier est hyper important et cette connaissance métier vient aussi des marques.
Au-delà des marques, c’est le rôle des personnes dans les marques qui est majeur ».

> Enfin, pour Jérôme Hamrit : « la data à ce mérite d’être objective, factuelle et assez incontestable. Elle crée une plateforme de collaboration entre les marques, les retailers et les partenaires. Ils utilisent la même data, travaillent avec les mêmes kpi’s et ont les mêmes analyses ».

• Question sur l’achat d’impulsion : comment la data peut-être au service de l’achat d’impulsion ? – Merci à Stéphanie de Mondelez International.

> Stéphane Smolarek : « c’est un vrai sujet ! Là où la data peut apporter son aide sur ce sujet, c’est encore peu ou pas adressé par les retailer aujourd’hui.
Pousser le bon produit, avec une offre ultra pertinente pour favoriser la transformation et ne pas se sentir oppressé ».

L’utilisation de la data peut jouer un rôle de prescripteur, recommandation de produits alternatifs qui fera modifier son intention d’achat.
Stéphane Smolarek : « si on va jusqu’au bout de la data, on personnalise les messages, les recommandations selon ses habitudes d’achat.
A contrario, si le shopper n’est pas sensible à cette utilisation de la data, il faudra se questionner et lui proposer des alternatives ».

Avant de conclure, un gros chantier en devenir : la personnalisation après coup

Une enseigne si elle arrive à connaître son client encore plus finement, ses alternatives auront encore plus de valeurs perçues par le client. On ouvre un gros chantier pour la data.
Romain Charles s’exprime sur ce sujet : « le digital et la data nous permettent de faire de manière beaucoup plus facile qu’en magasin : mesurer efficacement et rapidement.
Et si tu utilises l’A/B test, tu peux mesurer encore plus efficacement l’action et obtenir des insights qui ne sont pas discutables ».  

Stéphane Smolarek confirme que « la data ira vers l’A/B test ».

Le mot de conclusion :

L’acceptation de la data, ou comment rendre la data plus responsable.
Est-ce déjà un enjeu, pour la rendre responsable sociétalement et pour que le champ des possibles devienne une réalité ? 

Romain Charles : « C’est un enjeu actuel pour nous tous ! Ce qui est paradoxal, c’est que d’après une étude McKinsey, 3/4 des shoppers préfèrent une marque qui va personnaliser leurs communications, leurs offres. Par contre, le shopper veux que les communications soient personnalisées mais sans voir qu’elles sont personnalisées. D’où la subtilité.
Il faut donc être vigilant mais ne pas opposer la privacy à la personnalisation. Pourquoi ? Car à partir du moment où il y a une acceptation du consommateur, à partir du moment où tu le fais de la bonne manière, non intrusive, et à partir du moment où il y a intérêt légitime pour le retailer, c’est une évidence.
Et pour aller plus loin encore, dans l’utilisation de la donnée : elle peut demain nous aider à aller plus loin sur tous les thèmes de responsabilité, RSE… ».

Merci à tous pour votre attention, votre présence le jour J et après grâce au replay et pour vos retours utiles.
Nous espérons que le format vous a plu, que les échanges vous ont apporté les éclairages nécessaires et recherché.
Rendez-vous au prochain talk Lucky cart. Stay tuned !

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