Expertise
Nouveaux supports, promos ciblées… comment les prospectus se réinventent
6 minutes
Franprix, Cora, Leclerc… Alors que de plus en plus d’enseignes annoncent la fin de leurs catalogues papier, les leaders du secteur veulent rebondir, notamment avec les promotions digitales.
Vous ne supportez plus de voir ces prospectus déborder de la boîte aux lettres de votre voisin ? Lancé début avril le magazine « 150 euros » a peut-être trouvé la parade : n’envoyer les promotions de la semaine, en version papier ou digitale, qu’à ceux qui l’ont demandé.
Trois mois plus tard, ce pari semble en bonne voie : « Nous avons déjà 4, 5 millions d’abonnés, dont 60 % ont fait le choix du papier, et 40 % celui du numérique », se réjouit Éric Paumier, le président de Milee, la société éditrice de « 150 euros », spécialisée dans la communication locale et la promotion. Il mise sur « 10 à 12 millions de conquis » d’ici à fin 2023.
La promesse est alléchante : non seulement l’abonnement est gratuit, mais 150 euros correspondrait au montant des économies réalisées chaque mois par une famille choisissant habilement ses promotions. « Nous visons un double objectif, économique et environnemental », déroule Éric Paumier.
Économique, car en ces temps de pouvoir d’achat en berne, « 1 Français sur 3 utilise encore les magazines publicitaires pour savoir où il fera ses courses », rappelle Romain Charles, le PDG de Lucky Cart, une start-up qui aide les distributeurs à optimiser leurs promos. Écologique aussi, car seule une petite partie des Français désire encore recevoir ses offres promotionnelles en version papier. Or, en 2021, selon l’Agence de la transition écologique (Ademe), il s’en était encore imprimé… 766 000 tonnes. Un sacré gâchis.
Un marché en chute libre
L’association Que choisir, qui a épluché le magazine, n’est guère enthousiaste : « Ses huit pages d’articles, de conseils, d’interviews sans fond et de jeux n’apportent pas grand-chose au lecteur. En fait, l’unique intérêt de 150 euros réside dans le fait qu’il est livré avec une large sélection de catalogues de promotions émanant des distributeurs présents autour de chez soi (Carrefour, Auchan, Aldi, E. Leclerc et d’autres). »
Mais Milee (ex-Adrexo, Hopps Group), qui compte 11 000 salariés, avait-il vraiment le choix ? Dans un secteur en chute libre, anticiper l’inéluctable est devenu une question de survie. « Depuis 2018, le marché des prospectus a dégringolé de 2, 6 milliards à 1, 9 milliard d’euros », rappelle Élisabeth Cony, fondatrice de Madame Benchmark, et experte en stratégie d’actions commerciales des enseignes. Et le mouvement s’accélère. « En 2022, notre chiffre d’affaires a été raboté de 10 %, et ce sera pire encore en 2023 », consent-on à la direction de Mediapost, filiale de La Poste et leader du secteur avec deux tiers des ventes en valeur, et 7 000 collaborateurs.
Il faut dire que, du fait de l’envolée du coût du papier en 2021 et 2022, de plus en plus de distributeurs ont fait le choix de stopper leurs publicités imprimées. C’est le cas d’enseignes du groupe Casino comme Franprix et Monoprix (certes urbaines, et où les boîtes aux lettres des consommateurs sont protégées par des digicodes), mais aussi de Cora depuis janvier 2023.
Le leader de la grande distribution, les centres E. Leclerc, a pour sa part fixé cet horizon à septembre 2023. Nous allons économiser « l’équivalent de huit fois le poids de la tour Eiffel ! », s’enthousiasmait dans nos colonnes Michel-Edouard Leclerc, fin 2022. Intermarché et Auchan, de leur côté, ont réduit la voilure, tandis que Carrefour pronostique un coup de rabot de 80 % d’ici à fin 2024.
La pression politique s’intensifie
La pression est économique, mais aussi politique : promulguée en août 2021, la loi Climat et Résilience prévoit l’expérimentation du dispositif Oui Pub dans 13 territoires. L’idée ? Alors qu’aujourd’hui, certains Français reçoivent entre cinq et quinze catalogues papier par semaine, ces derniers ne seraient plus distribués qu’aux habitants ayant mis un autocollant Oui Pub sur leur boîte aux lettres. Un peu plus d’un an après le lancement de ce test, les résultats sont sans appel : en moyenne, dans huit territoires, « le taux d’apposition de cet autocollant oscille entre 20 et 30 %, (…) et est même au-dessous de 10 % dans cinq autres territoires », résume-t-on à l’Ademe. Une évaluation complète sera remise au Parlement fin 2024.
Le numérique pour cibler les individus
Mais l’adaptation du secteur passera surtout par la digitalisation, qui permet d’individualiser les offres promotionnelles. « Les enseignes vont récolter les données fidélité pour cibler la famille nombreuse, le cadre supérieur ou le propriétaire de chats. Puis elles utiliseront plusieurs leviers, courriers adressés, mails, etc., pour les solliciter », déroule Claude Charpin, directeur général de Dékuple, agence de data marketing, pour qui « le SMS est la formule la plus efficace».
Un exemple de ce nouveau type de démarchage?«Lors qu’il ouvre son appli Carrefour, un consommateur qui a des enfants en bas âge se voit directement proposer des réductions pour des couches », illustre Laurent Landel. 3 millions de clients Carrefour ont déjà accès à ces promotions personnalisées.
Les pros de la distribution de prospectus ne sont pas en reste.«Nous allons vers une hybridation plus forte de nos solutions, pour toucher tous les types de consommateurs », confirme-t-on chez Mediapost. Quant à«150€ », les abonnés ayant opté pour la version digitale peuvent accéder, donc, aux prospectus en ligne sur le site150euros.fr.
Une offre non exhaustive —Lidl n’y est pas —,et qui, en dépit de la géolocalisation,ne présente pas encore les catalogues par ordre de proximité. «Et 80 %des promotions digitales se font, non pas via des sites Web, mais grâce aux applis»,regrette un expert.
Cela tombe bien: «A la rentrée, nous lancerons une appli. Et d’ici peu, nos abonnés pourront non seulement sélectionner leurs magasins préférés, mais se verront aussi proposer une fonctionnalité qui leur dira où aller faire leurs achats,en fonction de leur liste de courses», promet Éric Paumier.
Source :
Le Parisien N°24553 – Edition Île-de-France
https://www.leparisien.fr/economie/consommation/nouveaux-supports-promos-ciblees-comment-les-prospectus-se-reinventent-06-08-2023-MBCUJ6VROFDGZPAOMP5G7IYQXE.php